Pourquoi le Vetiver (espèce herbacée) utilisé avec succès dans une centaine de pays pour la reforestation ne pourrait pas jouer le même rôle au Sénégal?

Criss Juliard, PhD*; Paul Truong, PhD**; Malainy DIATTA, PhD***; Vencelas Goudiaby****

Colloque Intenational contre la desertification et la reforestation

Dakar, Fevrier 2001

Des expériences concluantes dans une trentaine de pays (i.e.;Inde, Chine, Madagascar, Burkina, l’Afrique australe, Ethiopie), démontrent qu’une technologie utilisant une herbacée qui fonctionne comme un arbre est plus efficace quand elle est utilisée dans des sols arides. Elle joue un rôle de plante pionnière dans l’installation des formations forestières.

En 1956, dans la région de Lucknow en Inde, des sols alcalins (pH 11), fortement salés et considérés comme impropres à l’agriculture (colonisé uniquement par Calotropis procera) ont été réhabilités et transformés en espace vert, productif et couvert (Photo 1 et 2). La technique a consisté uniquement à planter des haies de vetiver (Vetiveria zizanioides), herbacée utilisée depuis des siècles pour délimiter des parcelles cultivées. Les paysans trouvaient que cette plante stérile et non-envahissante, avait un système racinaire profond (2—3 mètres) qui lui permettait de survivre de longs épisodes de sécheresse, de chaleur, de salinité tout en contrôlant l’érosion éolienne et hydrique.

La technologie est simple, peu coûteuse et est répandue dans 119 pays. Elle a fait l’objet de plus de 1 500 ouvrages scientifiques, d’observations et de témoins visuels (voir:www.vetiver.org). Au Sénégal, elle est encore mal connue bien que la variété V. nigritana (wolof : tjep) soit utilisée dans l’épuration des eaux, la délimitation de parcelles, et dans l’agriculture.

Mots clés : haies vives, vetiver, sols alcalins, terres salées; érosion éolienne, reboisement.

* Dyna Entreprise, BP 5457, Dakar-Fann, Sénégal et Madagascar, [email protected]

** Resource Science Center, Queensland Dept of Natural Resources, Brisbane, Australia. [email protected]

*** ISRA, BP 53 Bambey, Sénégal, [email protected]

*** IRD (ex ORSTOM) BP 1386 Dakar, Sénégal, [email protected]

Introduction

Bien que le Vétiver(Vetiveria zizanioides) soit utilisé pour des besoins de protection de la terre depuis une cinquantaine d’années, son impact réel sur la conservation des sols et des eaux ne s’est vraiment fait ressentir que tard dans les années 80 grâce à la campagne de promotion initiée par la Banque Mondiale.

Le Vétiver est un moyen simple, pratique, peu cher, demandant très peu d’entretien et très efficace, servant à la conservation des sols et des eaux, au contrôle des sédiments ainsi qu’à la stabilisation et à la réhabilitation des terres. De par sa nature végétale il ne détruit pas l’environnement.

Lorsqu’ils sont plantés en rangées, les plants de vétiver formeront une haie efficace pouvant ralentir et répandre les eaux de ruissellement, réduire l’érosion des sols, conserver l’humidité du sol et retenir les sédiments sur place. Bien que n’importe quelle haie soit en mesure de faire cela le vétiver, pour des raisons liées à ses caractéristiques morphologiques et physiologiques uniques, est capable de le faire mieux que tous les autres systèmes ayant été testés.

Caractéristiques morphologiques

De nouvelles racines se développent à partir des nodosités lorsqu’elles sont enterrées par les sédiments piégés. Le vétiver continuera de croître avec le limon déposé en formant éventuellement des terrasses si le sédiment piégé n’est pas retiré.

Caractéristiques physiologiques

Haute tolérance à l’aluminium, à l’arsenic, au cadmium, au cuivre, au chrome, au plomb, au manganèse, au mercure, au nickel, au sélénium et au zinc dans le sol.

Caractéristiques génétiques

Il existe trois espèces de vétiver utilisées dans la conservation des sols dans le monde: Veteviria zizanioides, V. nigritana and V. nemoralis.

V. nigritana est originaire d’ Afrique et son application est principalement circonscrite à ce continent. V. nemoralis est originaire de la Thaïlande et est utilisé à grande échelle dans la couverture de toits de chaume depuis des siècles et sert depuis une période récente à la conservation des sols. Ces deux espèces sont des variétés à graines, par conséquent leur application devrait se circonscrire à leurs terroirs respectifs.

Deux génotypes de V. zizanioides sont utilisés dans la conservation des sols et des eaux ainsi que dans la stabilisation des terres en Inde:

  • le génotype sauvage à graine du nord de l’ Inde
  • le génotype stérile ou à très faible fertilité du sud de l’ Inde.

Alors que le génotype à graine n’est utilisé que dans le nord de l’ Inde, le génotype méridional infertile est le principal vétiver utilisé dans la production d’huiles essentielles et est utilisé dans le monde entier pour la conservation des sols et des eaux ainsi que pour la stabilisation des terres à cause de ses caractéristiques uniques et enviables mentionnées plus haut. Cette variété est également accessible au Sénégal.

Le Vétiver est résistant aux attaques provenant des insectes et des maladies. A ce jour aucune infestation majeure n’a été enregistrée et il a également été démontré son haut degré de résistance aux attaques de nématodes. A Madagascar, alors que les récoltes et les mauvaises herbes avaient été dévastées en 1998 par des crickets, le vétiver, y compris les jeunes pousses, n’avait pas été dévoré. Les recherches actuelles ont également prouvé que son association étroite avec le mycorhize explique la raison pour laquelle le vétiver est capable de survivre et de se développer dans certaines conditions très difficiles.

Les résultats des essais en serre ont démontré que des niveaux de salinité du sol supérieurs à ECse = 8 dSm-1 affectent de façon négative la croissance du vétiver tendis que des valeurs ECse de 10 et 20 dSm-1 réduisent le rendement respectivement de 10% et 50%. Ces résultats démontrent que le vétiver peut se comparer valablement à d’autres cultures et espèces.

Réhabilitation des terre arides du Sénégal

Lorsqu’ils sont plantés en rangées les plants de vétiver formeront une haie, une barrière poreuse vivante qui ralentit et éparpille les eaux de ruissellement et piège les sédiments. Du fait que les eaux sont ralenties, son pouvoir érosif est réduit et aussi les haies donnent plus de temps à l’eau pour qu’elle puisse s’infiltrer dans le sol et enfin toutes sortes de matériaux érodés sont piégés. Par conséquent une haie efficace réduira l’érosion du sol, conservera l’humidité du sol et piégera les sédiments sur place. (Dans les régions à faible pluviométrie d’Asie et d’Afrique les haies de vétiver, lorsqu’elles sont plantées soit en longues rangées soit en demi-cercles autour des arbres fruitiers, ont augmenté les rendements de l’ordre de 20%).

Il existe trois méthodes qui permettent au vétiver d’améliorer la réhabilitation des terres arides dégradées ainsi que la reconquête ou l’arrêt de la propagation de la désertification:

1 La propagation et l’amélioration de l’infiltration des eaux de ruissellement

L’une des principales raisons pour lesquelles la reforestation des terres arides dégradées ainsi que des lisières du désert ne se produit pas de façon naturelle est la perte d’eau superficielle provoquée par une lente infiltration de l’eau. Cela est dû à une mise à nu de la croûte superficielle provenant d’un surpâturage, surexploitation agricole, des feux ou d’une érosion éolienne. La lente infiltration provoquera un ruissellement excessif qui souvent se concentre dans des dépressions ou des rigoles et très rapidement s’échappe de la terre et constitue ainsi une perte pour la zone où son besoin est crucial dans le processus de réhabilitation. Une répartition convenable des haies de vétiver ralentira et éparpillera l’eau concentrée dans ces dépressions et dans ces rigoles vers d’autres endroits du terrain. Ainsi elle aura plus de temps pour s’infiltrer et aller en profondeur là où il sera peu probable qu’elle se perdra pour cause d’évaporation superficielle.

Au fil du temps cette humidité du sol piégée va améliorer davantage la structure du sol qui fournira un meilleur environnement en vue d’une reforestation soit par voie d’introduction de plantes soit de façon naturelle via des graines provenant des environs. En Australie les mêmes principes furent appliqués dans le cadre d’une pratique appelée 'Shallow pending' au cours de laquelle des structures de rétention en terre de petite taille furent construites en vue de collecter et de créer de façon provisoire des étangs à partir des eaux de ruissellement. Cette pratique fut entreprise avec succès pour réhabiliter les terres arides dans les zones désertiques et semi-désertiques dans le centre de l’Australie.

2. Détournement et concentration de l’eau

Les haies de vétiver lorsqu’elles sont plantées sur une pente à faible inclinaison (0,20,5%) peuvent servir de structures de détournement très efficaces pour collecter et détourner l’eau afin de protéger les zones critiques telles que les têtes de rigoles ainsi que pour concentrer les eaux de ruissellement dans les endroits où la réhabilitation constitue une priorité essentielle ou dans les captages de recharge afin d’améliorer les fournitures d’eau souterraine. Cette dernière pratique fut réalisée avec succès dans la zone semi-aride indienne afin d’améliorer les fournitures d’eaux dans les puits villageois situés en aval de la pente.

3 Rétention de sédimentsLes tarares de limon formés à partir des sédiments retenus et qui proviennent à la fois de l’érosion hydrique et éolienne sont des sites importants pour la reforestation des manières suivantes:
  • Le sol est de texture plus légère, souvent plus sablonneux, permettant ainsi une meilleure infiltration de l’eau et une plus grande efficacité dans la conservation de l’humidité du sol en particulier à la suite de petites pluies.
  • Il est souvent plus fertile que les sols environnants.
  • Il constitue une source riche de graines de plantes endémiques dans la région. Cela est d’une importance capitale dans la reforestation des zones arides.

L’expérience en Australie et dans le monde a démontré que ces tarares de limon sont les premières zones à être colonisées par les plantes locales ou par les espèces semées. Du fait que ces tarares de limon se sont développés en amont le processus de reforestation a continué à se répandre de façon naturelle avec le temps.

Fourniture d’ombre

On oublie souvent l’ombre comme facteur important de réussite de la reforestation dans les climats chauds et secs des environnements arides et semi-arides. En Afrique du Sud, Kimberlite, le déchet rocheux provenant de l’exploitation diamantifère, est de couleur noire. En été lorsque le soleil est à son apogée des températures supérieures à 55°C ont été enregistrées en surface. Dans ces conditions-là très peu de plantes parviennent à s’établir à partir des graines en particulier. Pourtant le vétiver a réussi à s’établir de façon positive sur le Kimberlite par voie d’irrigation, mais ce qui est encore plus intéressant c’est que l’on a constaté que dans les zones voisines de certaines haies certaines herbes et d’autres plantes se sont établies de façon spontanée. En examinant cela de plus près il fut découvert que ces plantes étaient surtout situées à proximité des haies qui fournissaient une bonne quantité d’ombre indiquant ainsi que les haies de vétiver étaient en mesure de protéger les jeunes plants du soleil ardent.

En Australie il a été démontré que les haies de vétiver pouvaient fournir une quantité suffisante d’ombre aux moutons se trouvant dans des pâturages sans arbres des tropiques où le stress lié à la chaleur pouvait réduire la reproduction des agneaux de 30%.

Par conséquent partout où cela était possible des haies de vétiver devaient être plantées sur l’axe général nord-sud afin de maximiser l’effet bénéfique de l’ombre.

La protection du sol de l’érosion éolienne et des plantes du décapage et de l’amoncellement de sables

Les vents violents en zone aride et désertique portent souvent un préjudice à la croissance de la plante à cause de leur pouvoir érosif sur la couche superficielle du sol, de l’assèchement de l’humidité du sol que cela provoque et enfin des dégâts physiques causés aux plantes, en particulier les plus jeunes. Les haies de vétiver ont été utilisées de façon efficiente comme barrières éoliennes afin de réduire l’érosion due au vent dans les zones semi-arides tropicales d’Australie et aussi pour protéger les récoltes du décapage et de l’amoncellement des sables de dunes côtières en Chine.

Conclusions

Avec des applications appropriées le vétiver peut soit vaincre soit améliorer l’environnement hostile des zones limitrophes du désert. Il possède un grand potentiel dans la réhabilitation des zones désertiques arides et semi-arides dans la région du Sahel. Les résultats provenant de Burkina Faso, Mali et Niger montrent qu’une fois constitué le vétiver peut survivre à des conditions difficiles et ne compter que sur l’humidité collectée pendant la saison de pluies pour sa croissance.

Le vétiver peut être considéré comme une plante pionnière. Il est planté afin de modifier l’environnement hostile pour permettre aux plantes endémiques de s’établir naturellement. A cause de ses caractéristiques uniques le vétiver permet d’améliorer des conditions extrêmement hostiles en conservant l’humidité du sol, en arrêtant l’érosion du sol - qu’elle soit éolienne ou hydrique - et enfin en piégeant les graines arides des sols érodés.

Selected Publications on Vetiver Research, Development and Applications

  • Board on Science and Technology for International Development, National Research Council (1993) Vetiver Grass, A Thin Line Against Erosion, National Academy Press, Washington, D.C.
  • Greenfield J.C. (1989) Vetiver Grass, The ideal Plant for Vegetative Soil and Moisture Conservation, Asian Technical Department, Agricultural Division, The World Bank, Washington, D.C.
  • Truong, P.N. and Baker, D. (1998). Vetiver Grass System for Environmental Protection. Technical Bulletin N0. 1998/1. Pacific Rim Vetiver Network. Of fice of the Royal Development Projects Board, Bangkok, Thailand.
  • Truong, P.N. and Hengchaovanich, D. (1997). Application of the Vetiver Grass system in land stabilisation, erosion and sediment control in civil construction. Proc. Southern Region Symposium. Queensland Department of Main Roads, Queensland Australia.
  • Truong, P., Gordon, 1. and Baker, D. (1996 ). Tolerance of vetiver grass to some adverse soil conditions. Proceedings, First International Vetiver Conference. Chiang Rai, Thailand (in press).
  • Truong, P.N.V.(1994). Vetiver grass. its potential in the stabilisation and rehabilitation of degraded and Saline lands. Ed. V.R. Squire and A.T. Ayoub: Halophytes a resource for livestock and for rehabilitation of degraded land Kluwer Academics Publisher, Netherlands., 293 296.
  • Board on Science and Technology for International Development, National Research Council (1993) Vetiver Grass, A Thin Line Against Erosion, National Academy Press, Washington, D.C.
  • Trochain, J. (1940), Contribution à l’étude de la vegetation du Sénégal. Memoire de l’Institut Francaise de l’Afrique Noir.